Bénin : comment les réseaux sociaux ont influencé la présidentielle de 2016
En mars 2016, les Béninois s’étaient rendus aux urnes pour élire un nouveau président de la République. L’ancien président Boni Yayi était arrivé au terme de ses deux mandats constitutionnels et ne pouvait se présenter à nouveau. Une alternance s’imposait. Et même si toutes les conditions pour une élection normale n’étaient pas réunies, le Bénin a réussi le pari d’organiser un scrutin apaisé, dans un contexte où les joutes électorales sont souvent sources de conflits sur le continent.
Mais une chose particulière a également marqué le scrutin. Il s’agit du rôle important que les réseaux sociaux ont joué. Facebook et Twitter ont été particulièrement utilisés durant la période électorale. L’application de messagerie instantanée WhatsApp également. Comment expliquer l’omniprésence de ces réseaux sociaux et leur impact dans la période électorale ? Quels usages en ont été faits par les protagonistes du scrutin, qu’ils soient candidats, acteurs institutionnels ou société civile ?
Le règne de l’intoxication
La période électorale a été particulièrement féconde en publications sur les réseaux sociaux. Dans le flot de posts et de tweets, circulait malheureusement une abondance de rumeurs et d’informations erronées distillées ici et là. Stratégie de campagne pour certains, amateurisme pour d’autres, l’internaute béninois en a vu de toutes les couleurs.
Fabriquées entre les murs du siège de campagne d’un candidat, des messages, montages vidéos ou images falsifiées destinés à mettre en difficultés l’adversaire étaient ensuite publiés ça et là. Première destination, les groupes les plus influents et populaires sur Facebook. Les mêmes messages sont repris sur Twitter puis sur WhatsApp. Il faut toucher le plus de personnes possible. Les personnes qui se livrent à ce genre d’actions, assez vigilantes, utilisent de faux comptes ou se cachent derrière le fameux “Lu pour vous” (qui est souvent une parade) pour livrer leur message.
Pour certains, cela était prévisible. Mais ce qui impressionne le plus, c’est la vitesse à laquelle ces petites intox concoctées ici et là dans les états-majors des candidats ou par un groupe de soutien à un candidat, ont pu inonder le web.
Parce que, contrairement à ce qu’on peut penser, ce qui se passe sur Facebook et Twitter (et par extension sur Whatsapp) n’en reste pas à ces réseaux là. À la lumière de l’observation de notre pratique des réseaux sociaux, au Bénin, le circuit de diffusion de l’information peut être représenté schématiquement comme suit : généralement, l’information apparaît sur les réseaux sociaux (Facebook le plus souvent), transite via WhatsApp, puis se diffuse dans les discussions dans les foyers. Par conséquent, elle a des impacts sur des personnes qui, a priori, n’ont pas accès à ces informations à l’origine.
Campagne ultra 2.0
Durant la période électorale, on pouvait distinguer plusieurs types d’acteurs sur les réseaux sociaux selon les interactions qu’ils entretenaient avec les utilisateurs. On peut d’une part distinguer la société civile et d’autre part les acteurs institutionnels. Au milieu de ces deux se trouvaient les candidats à la présidentielle, ces vrais acteurs de la campagne électorale.
Partis au nombre de 33 au départ, les candidats à l’élection présidentielle n’avaient pas lésiné sur les moyens pour assurer une présence en ligne. Plusieurs parmi eux avaient un staff dédié aux réseaux sociaux. C’est ainsi que certains candidats, pourtant absents de ces plates-formes quelques mois auparavant, sont devenus très actifs. Sébastien Ajavon, arrivé troisième au premier tour, s’est ainsi retrouvé avec un compte certifié sur Twitter. De son côté Abdoulaye Bio Tchané avait déployé une armada de jeunes acquis à sa cause à la fois sur Facebook et Twitter. Ils ont envahit la toile avec des contenus favorables au candidat, finalement arrivé quatrième.
« Il semble qu’il y a un certain électorat à conquérir sur ces réseaux. Être absent sur ces plateformes c’est un peu comme laisser une zone non conquise. [Les candidats] y mettent donc les moyens à travers des pages sponsorisées, à travers des jeunes qui sont payés pour relayer de l’information sur les réseaux sociaux pour les différents candidats », avais-je expliqué à RFI qui m’avait interrogé à l’époque.
De toutes les manières, tous les candidats qui avaient une présence sur les réseaux ont utilisé leur profil pour communiquer autour de leurs activités de campagne et vulgariser leur projet de société. Y compris les jours de scrutin en violation du code électoral.
L’administration entre amateurisme et retard
Si les réseaux sociaux ont particulièrement marqué cette élection présidentielle du côté des candidats et de la société civile, les acteurs institutionnels sont les seuls à ne pas en avoir fait une utilisation optimale.
Très peu étaient sur les réseaux sociaux. La Cour constitutionnelle n’avait aucune présence sur Facebook, encore moins sur Twitter. Il en est de même pour la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Hacc). Ces deux institutions sont pourtant des piliers du processus électoral. Seule la Commission électorale nationale autonome (Cena), avec l’appui technique du Centre européen d’appui électoral, a assuré une présence remarquable sur Facebook et Twitter mais aussi sur son site web.
Conséquence : les informations officielles en provenance de la Cena étaient disponibles et accessibles en temps réel aux citoyens connectés mais aussi aux médias, aux observateurs étrangers, etc. De ce fait, peu de rumeurs ou d’intoxication relatives ont circulé à propos de la Cena.
De l’autre côté, les autres institutions, ne disposant pas de ces canaux de communication proches du peuple, avaient fait l’objet de supputations de toute sorte. C’est ainsi qu’on a annoncé sur les réseaux sociaux (et surtout via WhatsApp) de fausses dates de proclamation des résultats.
Avant la campagne électorale, la Haac a annoncé pouvoir surveiller les médias en lignes, les réseaux sociaux y compris WhatsApp. Dans la réalité, elle n’a pas pu empêcher la publication de prétendus résultats avant la fin du dépouillement ni sanctionner ces actes.
De nombreux autres couacs ont été notés dans la période, liés notamment à la mauvaise utilisation des réseaux sociaux.
La société civile aux aguets
Face à ces potentiels dérives, il faut faire remarquer l’impressionnant travail des organisations de la société civile qui a effectué une veille citoyenne. Aux côtés des organisations de la société civile réunie au sein de la Plate-forme électorale, l’Association des blogueurs du Bénin (AB-Bénin) -que j’ai l’honneur de conduire- s’est posée en gendarme du web 2.0.
Les membres de l’Association, engagés aux côtés des Organisations de la société civile (Osc) se sont évertués à relayer une information crédible et impartiale dans un contexte où la presse et médias classiques se rangeaient chacun derrière un candidat. Cet engagement s’est illustré à travers plusieurs activités.
C’est ainsi qu’un hashtag (#Vote229) a été initié sur les réseaux sociaux pour référencer toutes les informations relatives à l’élection. Ce mot clé lancé par l’AB-Bénin et porté par la communauté web a très vite été adopté par les internautes, les candidats à l’élection mais aussi par les médias.
Pour alimenter le fil d’actualité basé sur ce hashtag, un compte twitter dédié fut créé. Des e-observateurs basés dans les 12 départements du pays ont été formés pour relayer des informations fiables et pour partager leurs témoignages. En somme, faire du reportage social et du journalisme citoyen. Le site www.vote229.org mis en ligne pour la circonstance a servi de plate-forme des publications. Le jour du premier tour de l’élection, le #Vote229 touchait plus de 5 millions de personnes. Quelques jours plus tard, lors du débat face à face entre les deux finalistes, les commentaires des internautes ont fait monter le #Vote229 dans les tendances (Paris). Le mot “Talon” aussi.
Autre activité dans laquelle l’Association s’est illustrée, c’est l’organisation des tweetups “spécial présidentielle”. Les tweetups sont, à l’origine, des rencontres de discussions mensuelles autour de thématiques définies à l’avance. A l’occasion des élections, l’AB-Bénin a organisé cinq tweetups de ce genre sur des sujets relatifs à l’élection présidentielle en lien avec les tics et le web 2.0 en particulier.
Le premier Tweetup avait pour thème “Rôle des TICs et de l’Internet dans l’élection présidentielle de 2016 au Bénin”. Le quatrième tweetup, organisé une semaine avant le premier tour, s’était penché sur les erreurs à éviter le jour du scrutin sur les réseaux sociaux. Dix recommandations destinées aux utilisateurs avaient été formulées à la fin de ce tweetup. Ces dix principes ont ensuite fait le tour des réseaux sociaux, des groupes WhatsApp, ils ont même été repris par certains médias.
Enfin, chose inédite, nous avons organisé, avec @229people (le compte communautaire des Béninois sur Twitter) des tweetchats avec les candidats à la présidentielle. Autrement dit, il s’agissait de débats organisés avec des présidentiables en direct sur le site de miccroblogging. Nous n’avons pas pu organiser le nombre escompté (sur 33 candidats, seuls 5 ont accepté de se prêter au jeu) mais leur réussite a été saluée au vue des retours positifs que nous avons reçus.
Mais surtout, les blogueurs ont été présents aux côtés de la Plate-forme électorale des organisations de la société durant tout le processus. Notre présence fut remarquable les jours de scrutin, au cœur même du dispositif de la Salle de situation électorale. Entre les publications en temps réel d’informations sur les réseaux sociaux, les publications sur le site internet et les diffusions des points de presse de la société civile en direct sur Internet (via l’application Periscope), nous avons contribué à donner une visibilité internationale au scrutin.
L’élection présidentielle de mars a définitivement fait entrer le Bénin dans une nouvelle ère, du fait de l’implication active de nouveaux acteurs, de nouveaux outils et de leur impact. Cette expérience inédite a révélé ses avantages et inconvénients, ses forces et faiblesses. Désormais on sait que le web social jouera à chaque scrutin un rôle toujours plus important. À chaque acteur de prendre la mesure de l’enjeu et de jouer sa partition.
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