Bénin : colère et mécontentement sur Internet face à un décret liberticide du gouvernement

Article : Bénin : colère et mécontentement sur Internet face à un décret liberticide du gouvernement
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31 août 2018

Bénin : colère et mécontentement sur Internet face à un décret liberticide du gouvernement

Le jeudi 24 août 2018, les Béninois découvrent avec stupeur sur Internet (les réseaux sociaux en particulier) un décret du président de la République instaurant de nouvelles taxes sur les communications électroniques. On parle d’une contribution additionnelle de 5% sur le montant hors taxe des communications (voix) et d’une taxe de 5F (près d’un centime d’euro) par Méga Octet consommé par l’utilisateur des services Over The Top (Facebook, Whatsapp, Twitter, Viber, Telegram, etc..). Depuis, plusieurs voix fortes s’élèvent pour dénoncer ces nouvelles mesures face à un gouvernement qui fait la sourde oreille.

En quelques jours, ce qui était d’abord apparu comme une simple rumeur est devenu le principal sujet de conversation dans le pays. Les membres du gouvernement ont confirmé l’information et certains opérateurs ont révélé de nouveaux forfaits en application du décret liberticide. En effet, au cours d’une sortie publique mardi 28 août 2018, le ministre de l’Economie et des Finances a apporté des justificatifs pour le moins scandaleux à ces nouvelles taxes. (Voir la vidéo ci-dessous).

Selon le ministre de l’Economie et des Finances, les nouvelles taxes visent entre autres, à faire payer davantage ceux qui transfèrent des messages via WhatsApp pour “critiquer le gouvernement”. Par ailleurs, un courrier de l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la Poste adressé à un des opérateurs GSM locaux confirme la mise sur le marché de nouveaux forfaits en application du décret contesté.

Restriction de la liberté d’expression

Dans ce contexte,  n’allons pas par quatre chemins pour le dire : taxer l’usage des services OTT (réseaux sociaux) revient tout simplement à restreindre la liberté d’expression des citoyens par la contrainte financière. Le montant des taxes annoncées peut paraître dérisoire au vue de certains, mais en réalité, à y voir de plus près, c’est une vraie manière de stopper ou de décourager les gens – surtout les blogueurs et les journalistes – d’utiliser ces réseaux sociaux (tout comme les services de messagerie instantanés). Nous avons donc des raisons fondées de nous inquiéter par rapport à  la restriction de la liberté d’expression dans notre pays à la lumière de cette nouvelle disposition.

Internet sans frontières a d’ailleurs vivement réagi dans un communiqué en appelant le gouvernement à « reconsidérer » son texte. Pour ISF,  « l’application du décret n° 2018-341, (…) viendra renforcer les inégalités d’accès à Internet au Bénin, et mettre en péril la liberté d’expression. » 

Pour Lionel Kpenou Chobli, chef d’entreprise et élu local très influent sur les réseaux sociaux, le gouvernement s’est trompé en prenant cette décision.

« La taxe sur les communications Internet est une erreur politique. Au Bénin, berceau du Renouveau Démocratique et du printemps des Libertés Individuelles, cela ne pourra être assimilé, urbi et orbi, qu’à de la censure et à un recul de la liberté d’expression teinté d’archaïsme. La taxe menace les droits fondamentaux de la liberté de parole et de l’accès à l’information qui sont non seulement garantis par la Constitution mais aussi protégés par les traités internationaux : la Convention internationale sur les droits civiques et politiques et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme si l’on fait une lecture extensive. », a-t-il écrit sur Faceboook.

Le contraste entre la réputation démocratique du Bénin et ces nouvelles dispositions est l’élément fondateur de l’indignation de nombreux internautes. Ainsi, pour Arnaud Aurlus Serge, les explications du ministre des finances constituent tout simplement une bourde : « Ça vaut une démission pure et simple dans un pays sérieux », a fait savoir cet internaute.

“Inqualifiable recul” dans la promotion de l’économie numérique

Par ailleurs, en agissant ainsi, le gouvernement porte un coup d’estocade à l’économie numérique qu’il tente lui même de promouvoir depuis 2016. C’est ce que signale, dans une publication sur Facebook, Gilles Kounou, un entrepreneur dans le numérique dont l’entreprise est l’un des rares prestataires locaux du gouvernement.

“Dans un pays où l’offre d’Internet résidentiel filaire est très peu développée, où même des entreprises utilisent l’internet mobile comme solution de connexion professionnelle, cette mesure sonnera le glas du développement du Numérique au Benin […] C’est un inqualifiable recul », a-t-il posté.

A ce même propos, Lionel Kpenou Chobli s’interroge :

D’un point de vue économique et financier, à force de presser le citron, on avale l’écorce et elle est amère. Le temps passé en ligne et les données sont déjà taxés. Pourquoi une double imposition en y ajoutant la distinction de l’usage de ce temps de connexion et la nature des connexions ? Voudra t on nous expliquer que, parce qu’il est désormais possible d’envoyer un mail en Chine plutôt que du courrier express, la Poste du Bénin va instaurer une taxe sur l’utilisation de Gmail, Yahoo et Hotmail afin que l’Etat gagne encore de l’argent ?.

De son côté, Muriel Alapini, actrice de la gouvernance de l’Internet et militante de la promotion des jeunes filles dans le numérique rappelle au gouvernement qu’« il n’y a pas d’économie numérique sans accès à Internet à coût réduit ni de promotion des femmes dans le numérique ». 

Paradoxes

Venant du gouvernement du président Patrice Talon, le décret instituant de nouvelles taxes sur certains usages d’Internet est rempli d’incohérences (à l’image des politiques du gouvernement) et suscite plusieurs interrogations.

Durant la campagne électorale de la présidentielle de 2016, le clan du candidat Patrice Talon s’était abondamment servi des réseaux sociaux pour convaincre les électeurs. Aujourd’hui au pouvoir, l’exécutif utilise les réseaux sociaux pour communiquer sur toutes ses activités, parfois au mépris des médias classiques. En janvier 2017, le président de la République avait lui-même confié dans une vidéo publiée sur Facebook (titre de la vidéo : « Message pour mes amis internautes ») qu’il prenait du plaisir à lire les commentaires sur sa page y compris les critiques.

A ce sujet, un internaute ironise aujourd’hui sur Facebook avec la publication suivante :

Par ailleurs, dans son programme d’actions, le gouvernement du président Talon a mis l’accent sur la revalorisation du patrimoine culturel du Bénin afin de promouvoir la « destination Bénin » dans le tourisme. Dans ce cadre, plusieurs actes ont déjà été posés notamment la réclamation des trésors royaux du Bénin gardés en France. Récemment, le Bénin a supprimé le visa d’entrée aux ressortissants africains et créé une plate-forme de demande de visa en ligne dans la logique de booster le tourisme. En considérant tous ces efforts et sachant que l’accessibilité à l’Internet (qualité et coût) est un facteur déterminant dans le choix de destinations des touristes, on se rend compte que le gouvernement nage allègrement dans ses propres contrariétés. C’est une politique de « un pas en avant, deux pas en arrière », comme l’a souligné un internaute sur Facebook.

Au delà, de nombreux citoyens expriment leur indignation de diverses manières sur les réseaux sociaux et appellent le gouvernement à revoir sa décision. Une pétition a été lancée sur Internet à ce propos. Pour le moment, l’exécutif fait la sourde oreille. Malgré le tollé, la ministre de l’économie, habituellement très active sur les réseaux sociaux, n’a pas posté le moindre message sur le sujet depuis une semaine !

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