Daté Barnabé-Akayi : cet écrivain de l’inattendu

Article : Daté Barnabé-Akayi : cet écrivain de l’inattendu
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4 juin 2015

Daté Barnabé-Akayi : cet écrivain de l’inattendu

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Si vous êtes passionnés de littérature, vous vous êtes peut être déjà surpris d’étonnement devant La Disparition, le roman de Georges Perec dans lequel l’auteur évite soigneusement et magistralement d’employer la voyelle « e ». Ou bien vous avez déjà eu un sentiment similaire devant Verre cassé,  le  roman sans ponctuation du congolais Alain Mabanckou. Vous pourriez avoir le même sentiment à la lecture d’Errance chenille de mon cœur, le nouveau (en fait premier) roman de Barnabé Akayi Daté. Et peut être mieux. Plus qu’un simple jeu de style, l’auteur y invente presque une nouvelle façon d’écrire, loin de tous les canons de l’écriture romanesque.

L’écrivain Barnabé Akayi Daté est  bien connu dans le paysage littéraire béninois. En quelques années d’existence dans le milieu avec à la clé la publication d’une oeuvre florissante dont la qualité est reconnue et saluée unanimement par la critique et le public. De la nouvelle à la poésie en passant par le théâtre et désormais le roman, il a touché à tous les genres. Sans oublier ses essais et ouvrages pédagogiques. Il s’est fait aussi connaître par ses interventions à la fois sur les plateaux télés, sur les ondes radios et dans les rencontres littéraires au pays comme à l’extérieur. C’est un personnage atypique que même ses plus proches compagnes ont dû à appréhender. Son reflet, vous pouvez le voir dans ses œuvres.

Le samedi 14 février 2015, le jour du lancement du roman, l’auditorium de l’institut français réservé à cet effet ne suffit pas pour recevoir le monde qui s’est déplacé pour l’occasion. Les hommes et femmes, jeunes et adultes,  enseignants et étudiants,  amoureux des lettres et simples curieux qui s’étaient précipités dans la salle avaient déjà commencé à envisager une autre solution  pour éviter l’étouffement quand comme une rock star, il se pointa à la porte de l’auditorium. A ses côtés Florent Couao-Zotti et Habib Dakpogan. « Ça, c’est du Daté », a commenté la jeune fille qui était assise à mes côtés. Une forte personnalité dont l’algorithme pourrait être défini comme une combinaison de talents, d’irrévérence, de grandeur d’esprit et d’un caractère bien trempé. Le tout coiffé d’un humour décapant. Suivant les instructions de Asdé, l’animateur de la soirée littéraire au cours de laquelle le roman doit être présenté au public, nous nous dirigeâmes  tous  vers le théâtre de verdure de l’institut français de Cotonou, plus vaste.

Pour en arriver là, sa renommée seule aurait suffi. Mais l’homme a soigneusement mis en place une campagne dont lui seul en a le secret : plusieurs extraits du fameux livre avait été publiés sur le réseau social Facebook. L’attente avait été créée. Mais chose surprenante sur laquelle on reviendra plus tard, l’ensemble des commentaires laissés sur les extraits se retrouveront dans le contenu du livre. Drôle de manière d’écrire, en effet. « Un écrivain doit inventer, créer des choses inédites », m’a-t-il confié un jour alors qu’on s’est rencontré lors de la remise des trophées « Plumes dorées ». Et son procédé d’écriture, il l’invente tous les jours.

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Le roman de Daté Barnabé-Akayi raconte l’histoire et surtout les craintes et questionnements hautement philosophiques voir existentielles de la jeune Saniath, son personnage principal. Mais la fiche de lecture s’arrête là. Pour appréhender le contenu du livre, il faudra le prendre, le lire minutieusement du début jusqu’à la fin. Et surtout le relire autant que possible. Ainsi, on pourra se faire soi même son propre diagnostic du « Cas Atavito » comme l’a su bien le suggéré Pascal Okri Tossou, professeur de lettres dans sa note préventive inscrite au début de l’ouvrage. Parce que, entre roman, poésie, pamphlet, journal intime, etc le livre est tout simplement inclassable. Tout comme son auteur. Car si la plupart des auteurs contemporain admirent voir leurs noms cités aux côtés de certains auteurs classiques de la littérature, ne faites surtout pas à Daté l’affront de lui dire qu’il écrit comme untel ou un autre. Ne lui dites pas non plus qu’on pourrait ranger son oeuvre dans un certain courant « néo-négritude ».

« Errance chenille de mon coeur » est une oeuvre singulière que l’on rencontre rarement dans la littérature. Un ovni dans la littérature béninoise et peut-être dans la Littérature tout simplement.

Prétextes

C’est un roman fleuve qui paradoxalement ne pèse que 258 pages. Ici, il n’y a pas de digressions. Chaque mot a un rôle à jouer. Même les onomatopées  tirées du parlé populaire impossible à traduire dans la langue de Molière. Quel mot français aurait pu décrire dans sa valeur intrinsèque le sentiment de Saniath quand elle crie Azé ! lorsqu’elle décrit un épisode de ses nombreux ébats amoureux. Mais dans le fond, tout le roman n’est que prétexte. Prétexte pour s’attaquer avec des mots à des problèmes de société que la plupart des gens évitent d’aborder. L’auteur nous plonge sans langue de bois dans le politiquement incorrect. Car le mérite de Daté, c’est de mettre des mots sur les maux sur lesquels ses concitoyens ne mettent que du silence. Là où tout le monde s’arrête et se cache derrière des « Dieu fera ». Quand on lit cette oeuvre dans laquelle l’auteur ne force pas l’écriture, on vit forcément une sorte de catharsis d’autant plus que l’auteur reprend pour son compte nombres de sentiment du lecteur et l’exprime de fort belle manière. Prenez cet extrait :

Au centre de santé, mes oreilles ont capté une conversation très enrichissante. J’y suis allée avec un ami à qui j’ai parlé de mon rêve de devenir romancière. L’ami connaît l’un des locuteurs. Il m’a présenté à celui qu’il connaît. Paraît qu’il écrit aussi. Il serait poète, dramaturge, nouvelliste, essayiste, et plein de choses du même genre. Son visage me dit quelque chose. Je lui ai demandé si je suis supposée le rencontrer quelque part. Il répond : peut-être à la tv ! Oui, c’est ça ! C’est à la tv ! Je l’ai vu souvent sur Bonjour Citoyen d’Expédit Ologou. Ça, c’est un bon journaliste, Expédit Ologou ! C’est une émission que beaucoup de gens aiment ! Sauf que quand on les a renvoyés et supprimé l’émission, personne n’a marché pour montrer son mécontentement – alors qu’on est dans un pays où chaque jour, on marche. C’est comme si on vivait dans un pays où on encourage la lâcheté, la peur, l’irresponsabilité. Un pays où il est formellement interdit dans la Constitution de se soulever contre l’injustice ! Drôle de pays ! Même au Burkina où la démocratie claudique depuis que Sankara a légalement cédé sa place à celui que le peuple vient de chasser, on retrouve la puissance légendaire de l’empire Mossi. Ah les Béninois ! avec les formules de Dieu fera ! Et nous-mêmes là, on fera quoi ? En tout cas, ces jeunes de Bonjour Citoyen (Wilfried, Wilson…) ont sensibilisé la population à la vigilance. Mais devant l’hypnose des sandwiches et des coca-cola, on résiste rarement !

Je me souviens toujours de cette émission. Je la regrette, je dois dire. Un jour, un ministre de la santé est venu. Attention, ce n’est pas ce n’est pas Gazard, hein ? Gazard, tout le monde l’aime, enfin presque tout le monde. C’est un diamant de la santé. Le ministre dont je parle est un homme. Paraît qu’il ne sort jamais de la maison sans sa bible. Expédit Ologou lui lance : Monsieur le ministre, merci d’avoir accepté notre invitation – en fait, il n’est pas prévu dans le chronogramme et serait venu avec son propre conducteur : c’est mal connaître Expédit Ologou –, dites-nous, quel est le bilan de morts que le CNHU a enregistré ces derniers jours à cause des grèves répétées ? Le ministre est cloué, abasourdi ; genre, ce n’est pas ce qu’on s’est dit en coulisses…

Repères nécessaires

Cependant, le roman est particulier. Sa compréhension (s’il y en a une) n’est pas donnée. Il faut des repères à certains publics pour en comprendre la profondeur et parfois quelques simples subtilités.

Le roman est paru en février 2015. Et il commence par un « François Mensah s’est endormi » qui fait étrangement écho à un certain « Aujourd’hui, maman est morte » de 1942, signé Albert Camus. Mais François Mensah, lui, était un personnage réel très bien connu au Bénin. Journaliste sportif de renom sa mort avait suscité un émoi national sûrement à cause de son jeune âge. C’est dans cet univers que se déroule le roman qui n’est quasiment plus une fiction. Le lecteur le vit (au moins au moment de sa sortie) comme un compte rendu qu’on lit dans un journal tant les traces de l’actualité chaude sont abondantes. De la chute de Compaoré au Burkina-Faso à la campagne électorale qui s’annonçait à cette époque, en passant par le virus Ebola qui faisait encore parlé de lui, tout y passe. Une sorte de fiction augmentée comme pour faire écho à la réalité augmentée qui menace de plus en plus d’investir nos quotidiens. Il va jusqu’à être un personnage de son propre roman… c’est vous dire. Une longueur d’avance ce Daté Barnabé-Akayi ? Peut-être bien que oui ! A propos du style, une amie de l’auteur parlera de « présentialisme ». Mais le style de Daté, personne n’en parlera aussi bien que lui… et ses mots. C’est pour cela il ne cessera jamais de nous surprendre.

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